Curiosité de l’arrangement sur “Goodbye Pork Pie Hat”

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“Goodbye Pork Pie Hat” est un thème écrit par Charles Mingus en hommage à Lester Young à la mort de celui-ci en 1959 et enregistré la même année dans l’album “Mingus Ah Um”.

Lorsque que dans les années 80 je me suis intéressé à ce thème, j’ai eu du mal à trouver une transcription convenable. Le fameux realbook de l’époque proposait une partition avec des différences par rapport à la version originale à commencer par la tonalité. De plus la grille d’accords pour les solos n’était pas notée, elle diffère de la grille du thème.
Donc je me suis décidé à faire la transcription moi même mais je suis rapidement tombé sur un dilemme, alors que la mélodie est jouée à l’unisson par deux soufflants, que devais-je écrire à la 7ème mesure du thème dans le passage en triolets de noires?
En effet les deux saxophones ne jouent pas la même note (au demi-ton près) à un endroit pas spécialement mis en valeur et qui passe relativement vite!
Cette dissonance arrive un peu comme un grain de sable dans le parfait unisson de cette ballade en forme de Requiem.
Au début j’ai pensé à une erreur de lecture ou de partitions lors de la séance, mais les 3 exposés de thèmes sont joués de la même façon. Il me paraissait impensable que Mingus ait pu laisser passer une fausse note dans cet hommage solennel à Lester Young.
Ce n’est pas tant la dissonance de seconde mineure qui m’a laissé perplexe, le Jazz en use depuis ses débuts, mais au contraire le fait qu’elle soit si furtive, presque inaudible et unique dans le morceau. En principe on utilise cet effet “Klaxon” soit rythmiquement, soit sur une note longue en fin de phrase, en triple forte et en répétant l’opération dès qu’on en a l’occasion!

Après les expérimentations harmoniques du Jazz Cool, de la West Coast et du “Third Stream”, les Hard-Boppeurs des années 55/70 reviennent à un style plus épuré, plus efficace, avec beaucoup d’arrangements à l’unisson ou octave (Tp, Ts) ou/et des harmonisations parallèles (Oliver Nelson). Mais Mingus n’est pas du genre à se laisser enfermer dans des modèles esthétiques, c’est un créateur, un rebelle, il s’autorise tout et son contraire!
Cette petite dissonance furtive crée un malaise, une plainte, bref le Blues, d’ailleurs harmoniquement c’est une tierce mineure et majeure jouées en même temps sur l’accord, comme le font souvent les pianistes pour imiter les inflexions tonales des chanteurs ou guitaristes de Blues. Mais pour en avoir le coeur net, j’ai voulu écouter les autres versions disponibles jouées par Mingus et je me suis rendu compte que cette dissonance est récurrente et vraiment voulue à cette endroit par le compositeur.

Les différentes versions enregistrées par Charles Mingus:

– En 1963 Mingus enregistre une seconde version studio nommée “Theme For Lester Young” dans l’album “Mingus, Mingus, Mingus, Mingus, Mingus”. Le thème est joué parfaitement à l’unisson mais dans une autre tonalité (en E naturel!) et avec un thème légèrement différent au niveau des notes.
– En 1973 Mingus enregistre une version live à l’Apollo Theatre avec une succession de dissonances toujours à la 7ème mesure qui viennent perturber l’unisson.

– en 1975, Mingus est filmé à Montreux avec Gerry Mulligan et l’incroyable Benny Bailey. Cette fois-ci le thème est joué parfaitement à l’unisson mais avec quelques variations mélodiques.

– En 1977 il enregistre une troisième version studio dans l’album “Three Or Four Shades Of Blues” avec les guitaristes Philip Catherine et Larry Coryell. L’arrangement comporte la même dissonance que dans l’arrangement original. Cette version module également par demi-ton descendant au cours du morceau (F, E, Eb). Il y rajoute également une belle intro.

Mingus Dynasty 1979

La même année Mingus joue ce thème à la grande parage du Jazz en France, il doit certainement exister un enregistrement audio, voir vidéo de sa prestation.

– Enfin, je me suis intéressé à une autre version studio enregistrée quelques semaines après la mort de Mingus en 1979 par “Mingus Dynasty” une formation réunissant des musiciens ayant régulièrement joué avec Mingus (plus Charlie Haden à la basse), on retrouve bien la même dissonance au même endroit dans le premier exposé du thème.

– “Goodbye Pork Pie Hat” standard au-delà du Jazz

Malgré ses harmonies complexes typiques du Jazz de l’époque, l’esprit résolument Blues de cette mélodie et sa puissance émotionnelle vont toucher les musiciens de tous horizons et notamment les artistes de Pop, Rock et fusion.
On peut citer parmi les plus célèbres versions des années 70:
– John Mc Laughlin en 1971 dans “My Goals Beyond”,
– Le guitariste Ralph Towner
en duo avec Gary Burton dans “Matchbook” en 1974 (mon coup de coeur!),
– Jeff Beck
en 1976 dans “Wired”,
Roland Kirk chante le thème dans “Return Of The 5000 Lb Man” en 1976
– Joni Mitchell
dans “Mingus” en 1979 avec Jaco Pastorius à la basse!

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